Des maths (mais pas seulement) pour mes élèves (et les autres).

mardi 1 juillet 2014

bac, brevet et frustrations

Je reviens de la correction du brevet. J'ai moult fois corrigé le bac, mais le brevet, c'était une première pour moi. Je n'en dirai rien, car ce qui se passe dans les jurys est confidentiel. Mais ce qui m'a frappée aujourd'hui est le professionnalisme des collègues et comme il était simple et agréable de travailler avec eux. En tout cas, je suis rincée. Corriger une épreuve telle que le brevet ou le bac, c'est épuisant. On réfléchit, on confronte les points de vue, on compare pour s'assurer qu'on a été juste, on compte en ligne, en colonne, et plusieurs fois, pour être sûr de ne pas s'être trompé.
Le titre de mon article ne fait donc pas référence à moi. Je ne suis pas frustrée du tout par ma journée de travail, intense mais productive et intéressante. Je parle de la frustration "des gens" à l'issue des épreuves de mathématiques de bac et de brevet.

Quelques extraits lus dans les médias :

Sur le site de RTL :
L'article est assorti de témoignages hautement constructifs :
"On va (encore) se prendre cher", a pour sa part pronostiqué Sacha Nowak ;
"Toute l'année t'as des cubes et la au bac ils te mettent un tétraèdre régulier isocèle rectangle en A coupé par un plan!" nous explique @Niglo
@Daarrky prétend que "sur ton CV tu dis que t'as eu ton bac S session 2014 t'as le job direct"

C'est vrai, se moquer est un peu facile. Les journalistes de RTL auraient alors pu chercher des commentaires plus élaborés et mieux argumentés. 

Car entendons-nous bien, je comprends que tous ces jeunes gens s'inquiètent. Et lorsqu'on a l'impression de ne pas avoir réussi une épreuve, le plus simple est de la critiquer et de se rebeller. Ainsi, on garde la tête haute et ce n'est pas "de sa faute", notion chère à nos adolescents. Avec internet, la "rébellion" prend évidemment de l'ampleur rapidement.

Sur Le Monde.fr :

Sur avaaz.org

Là, on plonge dans le poujadisme avec allégresse : attention mesdames et messieurs, les résultats du bac S vont passer de 92,5% à moins de 50%. Brrrrrr...

Sur le Point.fr :

Pour le brevet, quelques réactions similaires. Sur le site de TF1 :

Alors qu'en est-il ?
Pour le brevet, tant que les résultats académiques et nationaux ne sont pas tombés, et vu que je fais partie des correcteurs, je me tais. J'y reviendrai en temps et en heure. 

Pour le bac, difficile de juger vraiment pour moi qui enseigne au collège depuis trois ans maintenant, même si j'ai aidé quelques élèves de TS cette année. Le sujet était probablement déroutant, en effet. J'ai bien conscience qu'en étant ni enseignante en S, ni maman d'un candidat, je réfléchis différemment. Mais que veut-on au juste ? Eduquer des jeunes à réfléchir par eux-mêmes, s'adapter à des situations nouvelles (mais dans le cadre des programmes officiels). On se plaint sans cesse que le niveau baisse. Et quand on propose une réelle réflexion, quand une épreuve ne relève pas de la répétition et du réflexe, on se fâche.
A mon sens, l'épreuve de maths de bac S est plus difficile que lorsque je l'ai passée, en 1991. Nous savions assez précisément sur quoi nous "tomberions". Si nous avions bien bachoté, nous réussissions, même sans talent particulier pour l'exercice des mathématiques. Aujourd'hui, non. On demande aux candidats bien plus d'autonomie, de créativité, de capacités d'analyse. Est-ce un mal ? D'ailleurs, faut-il forcément réussir l'épreuve de maths en S pour avoir son bac ? Non. Mieux vaut ne pas complètement la louper, bien entendu. Mais le bac ne s'obtient pas que sur les maths. Un exercice (qui parle de tétraèdre, par exemple) ne va donc pas mettre en péril le bac d'un candidat.

Jean-Paul Brighelli livre un point de vue qui a le mérite de se distinguer, dans Le Point.fr (je ne le cite pas dans son intégralité). C'est un chouillat provocateur et violent, mais ...

Le bac S est passé par 176 730 élèves cette année. Les protestataires représentent, en gros, un peu moins du tiers de ce total. C'est dire que près de 50 000 élèves de terminale S n'avaient rien à faire dans une filière censée ouvrir sur des études scientifiques. (... ) Le bac S est la solution par défaut. Et "défaut", cette fois, est bien le terme.

"Le sujet est tout à fait conforme au programme", affirme Pierre Fleury, professeur de mathématiques dans l'académie d'Amiens et membre du Snalc. Il reconnaît "quelques éléments qui ont pu surprendre les élèves", mais ne juge pas le sujet particulièrement "traître". "C'est un niveau de terminale S, pas d'entrée en sixième !", ajoute l'enseignant. Un point de vue confirmé par l'association des professeurs de mathématiques, qui juge le sujet "équilibré".

J'ai demandé son avis à un prof de maths au lycée Thiers de Marseille. Je recopie textuellement sa réponse :
"
Franchement, je ne vois là que du standard et absolument rien de tordu. À force d'infantiliser les gens en leur donnant des sujets prédigérés pour lesquels ils n'ont plus du tout besoin de réfléchir, les sujets ordinaires finissent par paraître difficiles. Il suffit alors que quelques-uns se mettent à lancer la polémique et surtout que nos chers médias s'en mêlent, et en avant la musique. Ce qui me navre le plus, c'est que cette dégringolade, parce qu'elle a été entamée depuis plusieurs années (plus d'une vingtaine), est un phénomène bourré d'inertie. Autrement dit, je parie que la dégringolade est loin d'être finie."

(...) Il faut, à mon avis, supprimer ce grand mensonge qu'est devenu l'examen terminal du système secondaire - à condition de laisser toutes les formations du supérieur libres de choisir sur dossier leurs étudiants. Des années que l'on ment aux élèves, à leurs parents, aux médias, à tout le monde. Droite et gauche confondues.

Rassurons les 40 000 feignasses protestataires et leurs parents : vous aurez le bac, on vous le donnera, quitte à survaloriser les questions les plus faciles, ou à noter sur 26, comme on l'a fait il y a deux ans. Et vous vous engouffrerez dans un système universitaire exsangue, dans lequel vous pourrez tout à loisir étaler votre incompétence. Pas longtemps, à vrai dire : en fac de sciences, comme en médecine, vous serez liquidés dans l'année. Alors seulement vous vous demanderez si les enseignants un peu exigeants (il en reste) que vous critiquiez si fort n'avaient pas raison de vous pousser à travailler davantage, alors même que vous veniez au lycée comme on va faire ses emplettes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire